Alchimie et psychothérapie (1) – Les quatre phases de l’œuvre

Article mis à jour le 16/06/2024 | Jung

Alchimie et psychothérapie (1) – Les quatre phases de l’œuvre

Jung et l’alchimie

Les alchimistes occidentaux avaient pour Grand Œuvre la réalisation de la Pierre Philosophale. Selon la légende, la Pierre possédait le pouvoir de transformer les métaux ordinaires en or. Mais faire de l’or par transmutation n’était pas le seul but de l’alchimie. L’alchimie visait aussi des buts thérapeutiques. La Pierre pouvait, en effet, prendre la forme de la Panacée et guérir toutes les maladies. Ou encore celle de l’Élixir d’immortalité. Il existait aussi une alchimie mystique où les alchimistes recherchaient la transmutation de leur âme.

Pour Jung, l’alchimie a été un parallèle historique qui lui a permis de trouver un point de vue extérieur venant à l’appui de ses thèses. Il s’aperçut que certaines des images dans les rêves de ses patients étaient identiques aux symboles alchimiques. Selon lui, les alchimistes n’avaient certainement jamais réussi à produire ni la Pierre ni, par conséquent, l’or. Mais parce qu’ils étaient préoccupés par une autre finalité que les processus à l’œuvre dans leur psyché, la projection des mécanismes correspondants avait pu se faire de façon pure sur ce qu’ils observaient. Ils avaient eu inconsciemment accès à un aperçu des modèles profonds de la psyché. L’étude du symbolisme alchimique lui fournit alors une carte de l’ensemble du processus d’individuation.

La Materia prima : L’inconscient

Les alchimistes avaient hérité de la philosophie l’idée d’une matière première susceptible de transformation à l’origine de toute la création. Cependant, souvent, la difficulté était pour eux de trouver cette matière première, sauf à y voir l’adepte lui-même. Ils donnaient toutefois quelques indices la concernant. On la considérait comme présente partout et devant les yeux de tous. Mais, d’apparence vile, elle était habituellement rejetée. Bien que d’apparence multiple, elle était une. Et elle était indifférenciée, sans limites, sans bords, sans forme…

Comme pour l’alchimie, dans le cadre d’une psychothérapie, une difficulté consiste à savoir exactement avec quoi travailler. Si ce n’est avec le thérapisant. Bien sûr, ce sont toutes les réactions et humeurs, toutes les occasions de la vie ordinaires qui peuvent être travaillées. Mais surtout les parties inconscientes, oubliées, rejetées par le thérapisant, et qui le mettent en difficulté, le fragmentent. Il lui faudra donc commencer par prendre conscience de cette fragmentation. Puis, il pourra apprendre à voir ces parties comme des aspects d’un tout.

Enfin, les alchimistes considéraient peut-être aussi ce qu’ils appelaient l’imagination véritable comme la matière première. C’est elle qui soudait les activités de la psyché de l’adepte aux étapes du travail en laboratoire. Elle opérait ainsi la transformation simultanée du métal et de l’alchimiste. Cette imagination véritable est à rapprocher de ce que Jung appelle l’imagination active (voir l’article Fonction Transcendante et Imagination Active).

Les quatre phases de l’œuvre

Une fois la matière première trouvée, les alchimistes devaient la soumettre à un certain nombre de procédures chimiques. Celles-ci devaient la transformer en Pierre des Philosophes. Une description habituelle de ces procédures les répartit en phases. Chaque phase étant distinguée par la couleur que prend la matière avec la progression du travail. D’un point de vue psychologique, on prendra toutefois garde à ne pas oublier que l’œuvre a un aspect cyclique. Le passage par les différentes phases de l’œuvre s’opérera donc de nombreuses fois au cours du processus.

L’œuvre au noir – Pénétration par l’inconscient

L’œuvre au noir, sous le signe de Saturne, renvoyait à la mort, à la putréfaction, la décomposition, la dissolution du mercure et la coagulation du soufre au moyen d’un feu lent aboutissant à une calcination totale. D’un point de vue psychologique, c’est l’étape de la rencontre de l’ombre. Mais une rencontre qui ne s’arrête pas à la rencontre de l’ombre personnelle et au nettoyage des écuries d’Augias intérieures. C’est aussi une phase délicate de lente déconstruction. Elle demande du temps pour accepter de se laisser pénétrer puis décapiter, submerger par les informations inconscientes. C’est donc une étape qu’il ne faut pas brûler trop vite.

Dans cette phase, à l’instar de l’athanor des alchimistes, le cadre thérapeutique devient un vase hermétique. Dans ce vase se dévoile le chaos intérieur. Une lente libération de la conscience de soi s’opère par le retrait des fixations. Ces fixations peuvent être intérieures et extérieures, comme la situation sociale, familiale, les pensées, les émotions… Mais l’athanor peut aussi être vécu comme contraignant, comme une prison, voire un tombeau. L’œuvre au noir débouchant sur une mort à une ancienne image de soi brûlée.

Saturne est simultanément le dieu de la mélancolie et celui de la fertilité. Le processus de la nigredo qui lui est associé est difficile et peut conduire à la dépression. Voire à la mélancolie. Mais, la descente dans les profondeurs de nos difficultés donne accès à leur racine. Et, de ce contact peut émerger la graine d’une vie renouvelée.

L’œuvre au blanc – Une conscience de Soi accrue

L’œuvre au blanc correspondait à une purification. Le corps métallique mort de la première phase était brûlé, cuit et lavé, jusqu’à obtention du vif-argent. Les textes alchimiques parlent de l’œuvre au blanc comme de la phase où l’âme devient consciente d’elle-même en prenant conscience de sa propre nature lumineuse. C’est aussi le moment de l’apparition de la cauda pavonis, ou queue du paon, la matière se parant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Enfin, la fin de l’œuvre au blanc correspondait à la fin du Petit Œuvre, la spiritualisation du corps.

Psychologiquement, l’œuvre au blanc est la conséquence naturelle de l’œuvre au noir. C’est une phase d’accroissement de la conscience de soi par retrait des projections. Une phase d’intériorisation permettant un accroissement du discernement et une accélération des prises de conscience à partir des matériaux qui ont submergé la conscience dans la phase précédente. L’œuvre au blanc permet l’éclairage de l’ombre de toutes les couleurs des sentiments. Jusqu’à l’obtention de la couleur blanche dans la clarté d’une illumination intérieure.

Mais, il convient de prendre garde. Il ne faut pas se laisser happer par l’exaltation de la découverte que facilite l’éclairage de l’ombre. Tout d’abord, c’est une étape dans laquelle le risque apparaît de se disperser dans de nombreuses expérimentations devenues possibles, alors que c’est une unification qui est recherchée. Simultanément, ce n’est qu’un début d’éveil à la relation au Soi, et non l’accomplissement final.

L’œuvre au jaune – Lâcher l’identification au Soi

Avec cette phase s’ouvre le Grand Œuvre proprement dit. Le jaunissement de l’œuvre correspond à l’action d’épurer ce qui a été obtenu. Le produit du début de réalisation effectué durant l’albedo est sacrifié pour qu’il puisse se transformer en or. C’est le moment de la mort jaune qui atteint un point de totale noirceur. Une lumière si puissante qu’elle en devient aveuglante.

Psychologiquement, cette phase peut correspondre au fait qu’il ne s’agit pas de s’arrêter aux diverses prises de conscience qui ont accompagné le stade précédent. Après la mort du vieil homme lors de la nigredo, il faut passer par une seconde mort. Cette seconde mort peut être vue comme une mort à la conscience de soi en tant qu’individu séparé, issue de l’albedo. Conscience de soi séparé qui est en elle-même une dernière identification à éliminer, et dont l’élimination entraîne la levée de la porte de la séparation sujet/objet.

C’est une phase critique à plusieurs titres. Le jaune du mot citrinitas peut tout d’abord correspondre au doute acide qui peut apparaître quant à la finalité de toute l’entreprise du travail intérieur. Par ailleurs, la levée de la perception de la séparation sujet/objet peut aboutir à la centralité psychotique, au lieu de se révéler être un aperçu de l’éveil au Soi. Apparaît enfin le risque de s’identifier avec les traits de l’archétype du Vieil Homme ou de la Vieille Femme Sage. En d’autres termes, de se prendre pour un gourou.

L’œuvre rouge – Incarner la réalisation de/du Soi

L’œuvre au rouge est la réalisation du Grand Œuvre de l’alchimie. Selon les alchimistes, la Pierre se transforme alors en un cristal incorruptible resplendissant d’une teinte rubis au moyen d’un feu permettant la fusion de la matière et de l’esprit. L’œuvre au rouge débute par la mort à un état de pureté non encore incarnée. Puis l’éveil du désir, chez l’alchimiste, d’incarner pleinement l’illumination de sa conscience. L’union dans la psyché de l’âme et du corps représente le mariage alchimique final, l’incarnation symbolisée par la couleur rouge, dont les alchimistes parlent en termes de naissance. La rubedo est le moment où l’alchimiste devient ce qu’il a toujours été, sans le savoir.

D’un point de vue psychologique, c’est le moment de la dernière conjonction. Celle où le moi  perd sa place centrale au profit du Soi avec lequel il reste en communication. Après avoir pris conscience de son ombre, s’être laissé guider par l’anima/animus et avoir surmonté l’épreuve de l’identification aux émanations du Soi, il faut encore incarner le résultat de la communication qui résulte du processus. Il s’agit d’atteindre la plénitude de Soi et la complétude qui peut surgir une fois que tous les morceaux de l’être ont été rassemblés. Ce n’est qu’une fois vraiment unifié qu’il est possible de vivre pleinement l’expérience relationnelle de la réalisation de/du Soi. Ce qui suppose un changement dans la personnalité devenue à même de la contenir et de la soutenir.

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Patrick Bertoliatti

Souscription

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