Alchimie et psychothérapie (3) – La Pierre Philosophale

Article mis à jour le 19/06/2024 | Jung

Alchimie et psychothérapie – La Pierre Philosophale

La Pierre Philosophale, ou Pierre des Philosophes, représentait l’objectif ultime des alchimistes. Or, selon Jung, les alchimistes avaient inconsciemment projeté dans la description de l’Opus alchimique — leur quête de la Pierre — ce qui se déroule dans le processus d’individuation. Ainsi, il y aurait un parallèle entre le but ultime des alchimistes, et le but du processus d’individuation compris comme la réalisation la plus aboutie possible de soi. Cette dernière étant progressivement facilitée par une relation consciente avec ce que Jung nomme le Soi. Nous explorerons ce parallèle en examinant les propriétés attribuées à la Pierre Philosophale et en les comparant aux caractéristiques de cette relation transformante.

Quaternité, Quinte essence et Problématique centrale

Les alchimistes décrivaient la Pierre Philosophale comme ayant une nature quadruple, composée des éléments minéral, végétal, magique et angélique. Sa production résultait de la réunion dans une quinte essence des quatre éléments fondamentaux (air, feu, eau, terre), initialement séparés de la matière première lors de la création. Autrement dit, la totalité de la matière première y était restaurée à un niveau supérieur.

Cette notion de transformation et d’unification des quatre éléments en une quinte essence trouve un écho profond dans la psychologie jungienne. D’un point de vue psychologique, la quaternité symbolise l’ordre, la cohérence et la réalisation. Elle incarne le sentiment d’achèvement qui accompagne la relation au Soi. De plus, la matière première en psychothérapie, représentée par la problématique centrale du thérapisant, est travaillée au moyen des diverses voies d’accès à l’inconscient. En fin de compte, la relation au Soi se manifeste comme la restauration de cette problématique à un niveau unifiant, celui de la quinte essence, transformant ce qui était autrefois déstructurant ou déchirant. Ainsi, c’est précisément au cœur de la difficulté centrale que la relation transformatrice au Soi peut se réaliser.

Faire de l’or – La relation au Soi

L’idée des alchimistes était d’accélérer le processus naturel pour amener la matière à sa perfection. Ils considéraient la Pierre Philosophale comme ayant le pouvoir de transmuter tout métal impur en argent, puis en or, des métaux reconnus pour leurs propriétés de cohésion et de stabilité. De plus, la Pierre devait également avoir la capacité de transformer les silex en pierres précieuses, valorisées pour leur beauté.

Parallèlement, dans la psychothérapie jungienne, la relation au Soi permet à l’ego de découvrir une stabilité et une cohérence qui surpassent ce qu’il pourrait réaliser seul. Cette stabilité et cette cohérence doivent toutefois être maintenues sans que la relation ne devienne fusionnelle par identification. Si une telle fusion se produisait, tout pourrait se transformer symboliquement en or par simple contact. Cela aurait pour conséquence de faire perdre à la relation au monde sa saveur de coïncidence entre éternité et temporalité. Simultanément, la relation au Soi pourrait perdre sa capacité à provoquer un changement de perception, qui donne normalement de la valeur et de la beauté aux aspects les plus banals de la vie. Un sentiment divin, imprégné d’éternité et de beauté, prédominerait alors, constituant un prélude possible à l’entrée dans la psychose.

Opus alchimique – Processus d’individuation

L’or vulgaire et les pierres précieuses n’étaient pas le véritable objectif de l’Opus alchimique ; le but ultime était plutôt l’Or Philosophale. Cette quête, caractéristique de la philosophie, est fondamentalement une recherche de sagesse. La pierre, réputée pour sa solidité et sa durabilité, symbolise bien la quête d’une sagesse qui s’incarne durablement. Cette recherche de persistance se manifeste également dans la relation du moi au Soi, qui évolue graduellement. En outre, la Pierre Philosophale était réputée pour révéler la totalité de la nature, une caractéristique qui trouve son écho dans la psychothérapie jungienne. De manière similaire, la relation au Soi élargit progressivement la conscience de l’individu, en forgeant des liens entre l’ego et ses fondations transpersonnelles. Ainsi, l’engagement dans la relation au Soi se vit comme un processus transformateur, une véritable aventure intérieure qui transforme la conscience de soi et enrichit la relation de l’individu avec le monde.

L’aventure intérieure, un processus intemporel

La Pierre Philosophale était elle-même réputée pour avoir eu une longue aventure, possédée par des figures telles qu’Adam, Abraham, Moïse, Salomon et de nombreux autres personnages bibliques. On pense que cela pouvait expliquer la longévité exceptionnelle de certains d’entre eux. De manière similaire, l’expérience de la relation au Soi est souvent ressentie comme la participation à un processus intemporel. Par exemple, à travers la redécouverte de son propre mythe dans des mythes antiques, ce qui permet de relativiser les vicissitudes du quotidien.

Dans le même esprit, la Pierre était également perçue sous un aspect végétal, considérée comme un principe de vie, de croissance et de fertilité. Par analogie, dans la perspective jungienne, le Soi est compris comme la source et l’origine de l’existence psychique. De plus, dans la relation au Soi, le thérapisant trouve un partenaire interne avec lequel vivre une aventure intérieure. Cette aventure le menant à la possibilité d’une vie « en abondance », c’est-à-dire une vie vécue dans la plénitude.

Relation au Soi et union des opposés

La Pierre Philosophale était aussi dite être l’union de deux entités contraires, voir opposées, solaire et lunaire. Chacune comportant des aspects négatifs et positifs. Or, si le soleil peut être brûlant et destructeur, il apporte aussi la clarté de l’illumination et décrit la conscience spirituelle. De même, si la lune de par sa froideur peut avoir un effet glaçant, pétrifiant, elle renvoie aussi à l’intuition spirituelle.

La relation au Soi est elle aussi expérimentée comme une coincidentia oppositorum, une coïncidence des opposés. Dans un premier temps l’alternance des opérations de calcinatio et de coagulatio (voir l’article Alchimie et psychothérapie (2) – Les sept opérations) permet la prise de conscience graduelle que le processus thérapeutique fait partie d’un processus plus large et qui met en relation avec un centre dont la conscience émerge. Puis la relation s’accompagne progressivement d’une extension/illumination de la conscience et d’intuitions qui s’incarnent dans une ouverture à une dimension spirituelle. Assez souvent alors, lorsque cette ouverture advient, elle s’accompagne d’expériences numineuses.

Rien ne demeurera caché… L’émergence d’une sagesse intuitive

La Pierre Philosophale avait aussi le don d’ubiquité, ce qui entraînait que rien ne pouvait être caché à qui était en sa possession ; il pouvait notamment comprendre le chant des oiseaux… Ce don d’ubiquité lui permettait aussi de communiquer les choses de l’esprit sous forme d’images qui, si elles étaient comprises, devenaient des oracles. Enfin, la Pierre Philosophale pouvait donner accès à des capacités prophétiques.

Parallèlement, la relation au Soi peut revêtir deux faces. Elle peut être ressentie comme une menace pour qui tente de se voiler la face. Elle implique en effet de s’orienter volontairement vers une personnalité intégrée, sans aspects cachés, scindés. Mais cette relation peut aussi avoir un aspect attirant, car l’unification de la conscience peut donner accès à une sagesse intuitive et instinctive, une folle sagesse. Une des expressions de cette folle sagesse est de donner accès à des interprétations de rêve ou d’imaginations qui, en son absence, demeureraient inaccessibles (voir l’article La langue des oiseaux et les rêves). Une autre de ses expressions correspond aux expériences de synchronicité qui accompagnent souvent la relation au Soi.

Sagesse intuitive et synchronicités

Les phénomènes de synchronicité semblent indiquer que la relation au Soi induit l’entrée dans un ordre des choses qui se situe hors des principes d’espace, de temps et de causalité. Tout se passe comme si cette relation permettait l’accès à une sagesse qui transcende celle de l’individu (voir l’article Fonction Transcendante et Imagination Active). Mais de même que le pouvoir de transformation de l’esprit en image appartenait à la Pierre, le pouvoir imaginatif de la psyché dérive du Soi et n’est pas une fonction de l’ego. Aussi, l’imagination n’est pas à voir comme un moyen d’accès à la relation au Soi. Elle doit plutôt être vue comme le lieu de réception et d’observation attentive des images qui émergent de sa dynamique.

Un goût paradoxal

La Pierre Philosophale était aussi dite avoir aussi un aspect si subtil qu’elle ne pouvait pas être vue. Elle pouvait uniquement être perçue par le goût, la saveur, l’expérience… Cet aspect peut, par exemple, être mis en relation avec la psyché. La psyché n’est pas saisissable, elle ne peut pas être imagée adéquatement, elle n’est pas un objet susceptible – en tant que tel – de connaissance. Beaucoup la réduisent en conséquence à un ensemble de phénomènes neuropsychiques conditionnés de façon biologique, héréditaire, voire culturelle. De ce point de vue, elle n’est rien en elle-même et n’existe pas. Cela dit, ces propriétés sont plutôt à comprendre comme des propriétés de l’ego.

La psyché ne peut pas être vue. Mais ceux qui sont amenés à en expérimenter la réalité savent que si elle ne se laisse pas saisir, c’est parce qu’elle n’est pas de l’ordre d’un savoir, mais d’un sentir et d’un goûter intérieur qui sont à la base d’une relation vécue au Soi. On disait encore de la Pierre qu’elle était non-Pierre, ce qui renvoie à son aspect totalement paradoxal. Comme symbole du Soi, elle est ainsi le symbole du centre et de la totalité de la psyché. Une totalité à l’aspect paradoxal, en ce sens qu’elle est déjà présente, donnée, mais reste à réaliser. Autrement dit, la psyché est un mystère ; non pas une réalité incompréhensible, mais une réalité que l’on n’a jamais fini de comprendre.

Relation au Soi, rêves et imagination active

Selon les textes, la réalisation de la Pierre Philosophale permettait l’apparition d’anges. Et elle donnait le pouvoir de converser avec eux, à travers les rêves et les révélations. Par ailleurs, aucun esprit malfaisant ne pouvait approcher le lieu de sa demeure. Parallèlement, en thérapie jungienne la relation au Soi s’approche à travers les messages des rêves et l’imagination active. Deux moyens d’accès à un savoir qui se transforme peu à peu en relation.

On se rappellera par ailleurs que la Pierre Philosophale était une quintessence, une unification d’essence, et qu’elle correspond à ce titre à une unification de la personnalité. Cela permet d’expliquer les esprits malfaisants qui ne pouvaient approcher de la Pierre comme des complexes dissociés. Des complexes qui ne peuvent pas survivre dans la conscience du Soi, puisque celle-ci implique une personnalité sinon unifiée, du moins en voie d’unification.

Retour à l’origine

La Pierre Philosophale était aussi appelée nourriture des anges, viatique céleste et arbre de vie. Les anges, ce sont les messagers intérieurs divins. Le viatique céleste, l’eucharistie administrée à un mourant, offre au malade de s’unir au Christ, « le Premier-né d’entre les morts » (Col 1, 18). Enfin, pour comprendre l’image de l’arbre de vie appliquée à la Pierre Philosophale, il faut se souvenir que la vie éternelle, c’est connaître Dieu, vivre de sa vie (cf. Jn 17, 3). La Pierre Philosophale était ainsi censé donner accès à la vie divine.

D’un point de vue psychologique parallèle, la mise relation au Soi est ce qui permet de concrétiser les messages potentiellement disponibles dans l’inconscient. C’est-à-dire intégrer à un niveau vécu conscient les influx en provenance de son centre. Au moyen de l’interprétation de ses propres rêves par exemple. De même, l’établissement de la relation au Soi implique des morts successives à soi-même, à ses fixations égotiques, pour renaître à une vie de plus en plus authentique. Enfin, la relation de l’image de l’arbre de vie au processus d’individuation est que la relation au Soi est un retour à l’état perdu d’une totalité originelle. Une totalité qui n’est ni séparation de son propre centre, ni confusion avec lui. Il ne s’agit jamais de s’identifier à l’archétype du Soi.

Le cycle du processus d’individuation

Pour finir, la Pierre Philosophale était dite être elle-même la matière première de l’œuvre. Comme la Materia Prima, la Pierre aux multiples noms et qualités manifeste le même caractère de multiplicité dans l’unité que la matière de départ. Mais à la fin du processus, cette matière initialement informe est devenue une Pierre. Elle est devenue une réalité solide dans laquelle ont pu être intégrés les multiples fragments de la personnalité. Et cette réalité permet de faire une expérience du Soi et de soi (plus) unifiée.

L’image de la Pierre comme Materia Prima indique aussi que l’élan permettant de faire cet effort dérive d’une unité qui était présente dès le démarrage. Elle aura aussi été présente durant toute la durée du processus. Et il en aura été progressivement pris conscience. Enfin, les textes impliquent que l’unité une fois achevée doit à nouveau être rompue dans la multiplicité pour que la vie continue. C’est-à-dire que la fin du processus est à la fois la fin d’un cycle et un nouveau commencement. L’éveil au Soi n’est pas un but, une fin, mais l’entrée dans un processus, le début d’une relation au Soi entraînant une connaissance de soi sans cesse approfondie (voir l’article La psychothérapie jungienne et l’art d’apprivoiser le taureau (10)).

Patrick Bertoliatti

Souscription

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