Fonction Transcendante et Imagination Active selon Carl Gustav Jung

Article mis à jour le 24/04/2024 | Jung

L’imagination active décrite par Jung offre à qui la pratique, par « une maturation intensifiée et accélérée de sa personnalité » 1, la possibilité de réaliser sa propre nature en dehors de toute contrainte et d’assumer totalement la responsabilité de sa propre manière d’être 2. Elle permet l’expression de ce que Jung a nommé la fonction transcendante en référence « à une fonction mathématique du même nom et qui est une fonction des nombres imaginaires et réels. La “fonction transcendante” provient de l’union des contenus conscients et inconscients » 3. Cette fonction s’exprime par la faculté de métamorphose de l’âme lors de la confrontation des contenus de la conscience et de l’inconscient.

La fonction transcendante

Pour satisfaire ses fonctions d’orientation et d’adaptation, la conscience à tendance à inhiber tout contenu de conscience qui lui paraît non adéquat à leur exercice. Elle le rejette/refoule intérieurement, constituant ainsi progressivement l’inconscient personnel. D’autres éléments peuplent l’inconscient, « les traces de comportement hérité qui constituent l’esprit humain » 4. . On parle alors de l’inconscient collectif. Schématiquement, les contenus de l’inconscient personnel à l’inconscient collectif (en passant par ceux de l’inconscient familial, national, etc.) forment l’inconscient selon Jung.

L’inconscient semble posséder un seuil d’intensité qui retient tous les éléments qui n’ont pas atteint l’énergie nécessaire pour le dépasser. Avec le temps, l’énergie des contenus refoulés augmentant, l’attitude unilatérale consciente peut provoquer un conflit intrapsychique. On observe qu’il en résulte alors une perte d’énergie du conscient au profit des éléments inconscients. De même, certaines expériences nouvelles ou évènements propices peuvent être l’occasion d’activation d’autres contenus. Dans tous les cas, les éléments inconscients atteignant le seuil d’intensité requis peuvent alors faire irruption. On les retrouve dans les rêves ou certaines pensées récurrentes ou obsédantes par exemple. Mais ils émergent aussi dans la réalité dite « extérieure ». Ils peuvent alors provoquer des évènements, symptômes et/ou dysfonctionnements comportementaux aux conséquences parfois destructrices.

Les deux parties de la fonction transcendante

Ces moments d’émergence correspondent à la première partie de la fonction transcendante. Elle permet aux contenus inconscients d’apparaître à la conscience. Toutefois, le rôle de la fonction transcendante est protecteur. Elle peut permettre le dépassement sans encombre des blocages existentiels dont l’individu ne parvient pas à sortir. En l’aidant à construire une nouvelle façon de vivre, elle peut lui éviter les irruptions destructrices de l’inconscient. À cet effet, elle tend à supporter une adaptation et une orientation intérieure entre les opposés conscients et inconscients. Ceci, en les réconciliant par leur dépassement. La seconde partie de la fonction transcendante est ce moment de confrontation entre les contenus émergés de l’inconscient et la conscience. Elle dépend de l’attitude que la conscience adopte à leur rencontre… ou… à leur encontre.

Le rêve, l’imagination active, et la fonction transcendante

Il existe différentes possibilités pour entendre en provenance de l’inconscient des informations qui pourront être intégrées à la conscience. La voie du rêve et de son interprétation en est une. « L’interprétation des rêves est la via regia qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique » disait déjà Freud 5. L’imagination active en est une autre qui la complète. La fonction transcendante se construit par le travail avec les rêves et l’imagination active. Elle devient alors comme un pont situé entre la position consciente de l’ego et la position inconsciente. L’imagination active a pour avantage de ne pas dépendre du rappel des productions nocturnes. Mais aussi et surtout, elle permet à l’analysé de recouvrer son indépendance face à son analyste. Elle lui permet de continuer son analyse seul. Elle n’est toutefois pas accessible à cette fin en début d’analyse. Il aura fallu le plus souvent être accompagné dans sa découverte pour, le cas échéant, la pratiquer seul.

L’imagination active

L’imagination active est le vecteur par excellence de ce que Jung appelle le processus d’individuation. L’individuation est une approche progressive de la réalisation complète de soi en relation à ce Jung a nommé le Soi. Le Soi est l’archétype de la totalité, de la structuration du psychisme, et dont le moi émerge. Autrement dit, l’individuation vise à la réalisation de ce que chacun est par nature. Et ce que chacun est par nature n’est pas toujours en accord avec ce qu’il croit être ou souhaiterait être. Ainsi, l’imagination active reprend à son compte, en les déployant, les deux parties de la fonction transcendante.

Laisser être ce qui est tel que c’est

Ce qui médiatise la première partie de la fonction transcendante dans l’imagination active correspond au « Gelassenheit » de Maître Eckart. Le « Lassen » de « Gelassenheit » ne veut pas dire « laisser » au sens d’abandonner, mais plutôt « laisser être ». C’est-à-dire renoncer à s’approprier. À commencer par chercher à s’approprier soi-même : « T’es-tu laissé toi-même, alors tu as laissé » dira Maître Eckhart 6. Il s’agit donc d’agir sans agir, de laisser advenir dans le psychisme, d’observer ce qui s’y développe, s’y image. Ne pas chercher à s’approprier, ne pas chercher à se servir de ce qui émerge.

Considérer activement ce qui est

Dans la seconde partie, la conscience entre « activement » en jeu par la considération qu’elle apporte aux images qui se présentent. Considérer, c’est ici donner de la place à ce qui n’avait pas de place dans la conscience. À ce qui était caché, rejeté, inconvenant, souffrant… Donner de la considération c’est aussi s’engager, réagir à ce qui se présente. C’est accepter une confrontation authentique et transformante.

Spécificité de l’imagination active

L’imagination active se différencie des autres techniques ou formes de méditation de par sa liberté absolue par rapport à toute forme de programme préétabli et à toute intervention d’un tiers. Aucun thème n’y est proposé et une fois reçu les quelques règles qui permettent de la pratiquer, elle se pratique seul. Le point de départ dépend de ce qui indique une émergence de l’inconscient : une humeur, une image de rêve, une pensée obsédante… Toute tentative qui ne répondrait pas à un mouvement en provenance de l’inconscient n’aboutirait qu’à un renforcement de l’ego. Le seul guide est le ressenti, l’émotion, et tout ce qui fera écho à une décision possible à chaque pas de l’exercice.

L’imagination active peut se diviser en cinq étapes :
1 – Établir le calme en soi

Établir le calme sans se laisser dériver sur le flux ininterrompu des pensées qui s’écoulent. Pour se faciliter la tâche, chacun trouvera la méthode qui lui conviendra. Cela pourra être par exemple de s’asseoir tranquillement sur un coussin et d’effectuer quelques respirations conscientes. À chacun de trouver ce qui pourra l’aider lors de cette étape. Mais c’est une étape importante à ne pas négliger, et qui bien que paraissant simple, n’est généralement pas facile à réaliser. Ne pas se laisser dériver sur le flux ininterrompu des pensées qui s’écoulent est pour la plupart exactement l’inverse de l’attitude adoptée à leur égard.

2 – Se concentrer et laisser advenir

Se concentrer ensuite sur l’humeur, l’image de rêve, qui se présentera comme point de départ. Recevoir ce qui vient sans juger, sans remettre en question. Il ne s’agit pas de choisir un « bon » thème d’imagination active. Il s’agit de « laisser advenir », d’accepter de recevoir ce qui se présente : images, sons, paroles intérieures, ou quoi que ce soit qui émerge intérieurement. Pour cela, il faudra éviter de se figer par excès de concentration, de laisser les images se succéder trop rapidement, de chercher une solution, de faire des interprétations, de se laisser aller à faire soi-même des associations… Il faudra aussi vaincre les résistances « il ne se passe rien », « les images sont stupides », « il n’en sortira rien », « c’est moi qui dis tout, qui pense tout cela », etc. Laisser advenir est un art où la matière première paraît méprisable et est facilement rejetée.

3 – Dialoguer

Dès que quelque chose de l’objet de la concentration apparu dans le « laisser advenir » se meut de manière autonome (un objet paraissant inerte se met à bouger, quelqu’un parle etc…), c’est là qu’il faut aller dialoguer. Parce que c’est là que la psyché commence à se montrer. Le dialogue peut avoir lieu de diverses façons : dialoguer intérieurement, écrire, peindre, sculpter, danser… Le mieux est ce qui conviendra à chacun et à la situation. L’intention est d’entrer en communication en vivant cette communication pour ce qu’elle est (ou en tout cas peut être) : une communication réelle. Ceci implique de se rendre réellement présent et de se confronter au point de vue éthique et moral avec ce qui est produit. Autrement dit, il s’agit d’y réagir comme dans la réalité quotidienne. Souvent, un conflit ou une situation sans issue apparaîtra. Il s’agira alors de durer jusqu’à ce qu’une solution, en général paradoxale, évidente et pourtant surprenante, émerge de la confrontation.

4 – Prendre note et réaliser l’imagination

Prendre note de l’imagination : ce qui s’est passé et ce que l’on a compris. Un carnet de notes dédié sera utile. Puis appliquer dans la vie quotidienne ce qui a été appris au cours de l’imagination active. De même que la voie des rêves peut consister à « réaliser ses rêves », il s’agit ici de réaliser ce que l’on imagine. C’est-à-dire de le voir, de prendre conscience que c’est soi, et de lui donner une place dans la réalité concrète de sa vie.

Continuer l’expérience

De même qu’une suite de rêves est généralement plus signifiante qu’un rêve pris isolément, l’imagination active est plus opérative lorsqu’elle est pratiquée de façon continue. Dans ce cas, une fois le processus initié, il s’agit de revenir jour après jour au point où l’exercice s’est achevé le jour précédent. En pratique, y consacrer entre 15 à 30 minutes par jour est suffisant.

Avertissement important

L’imagination active n’est pas sans risques. Les contenus à haute charge énergétique qui émergent de l’inconscient peuvent submerger la conscience jusqu’à un épisode psychotique. Des symptômes d’ordre somatique sont aussi possibles. Par principe, il est donc dans un premier temps déconseillé de la pratiquer sans pouvoir en rendre compte lors d’un accompagnement thérapeutique qui permettrait d’en éviter les principaux pièges. Cela dit, la confrontation à l’inconscient et ses contenus comporte toujours une part de risque à assumer qu’aucun accompagnement thérapeutique ne pourra épargner.


Notes:

1 – M.L von FRANZ. Psychothérapie: L’expérience du praticien. Paris, Editions Dervy, 2001, p. 120.
2 – Cf. Ibid.
3 – C.G.JUNG. L’Âme et le Soi. Paris, Albin Michel, 1990, p. 151.
4Ibid., p. 152.
5 – S.FREUD. L’interprétation du rêve. (traduction Jean-Pierre Lefebvre). Paris, Seuil, 2010, p. 548.
6 – Maître ECKHART. L’étincelle de l’âme – Sermons I à XXX (traduction Gwendoline Jarczik et Pierre-Jean Labarrière). Paris, Albin Michel, 1998, cf. Sermon 28.

0 Comments

mailchimp

Souscription

Rejoignez notre liste de diffusion pour être averti des nouveaux articles