La psychothérapie jungienne et l’art d’apprivoiser le taureau (1): Chercher

Article mis à jour le 07/10/2024 | Zen et psychothérapie

 

Sans cesse j’écarte les hautes herbes.
Les eaux montent, les montagnes s’éloignent,
les chemins paraissent sans fin.
Sans force, épuisé,
je ne sais plus où chercher,
Je n’entends que le chant lancinant des cigales dans les érables.

 

« Sans cesse j’écarte les hautes herbes. »

Pour nous réaliser, nous sommes la plupart du temps à la recherche de quelque chose : bien-être, bonheur, amour, réussite, confort matériel, regard de l’autre, reconnaissance, emploi, abri, nourriture… la liste est sans fin. Et, en général, nous recherchons toujours à l’extérieur de nous-mêmes.

Cependant, au cœur de ces quêtes se trouve une question plus essentielle : qu’est-ce qui nous fonde réellement ? Pourquoi suis-je là ? Que suis-je ? Qui suis-je ? Y a-t-il un fondement au fait d’être ?

Dans le processus d’individuation jungien comme dans le Ch’an, il est crucial de clarifier notre désir de réalisation. La véritable libération de la souffrance ne peut être trouvée qu’en tournant notre regard vers l’intérieur, en intégrant les aspects inconscients de notre psyché sous l’influence du Soi. De même, dans la pratique du Ch’an, il est inutile de chercher l’éveil à notre nature essentielle ailleurs qu’en nous-mêmes.

Pourtant, nous tournons souvent le dos à cette réalité intérieure, la perdant de vue et la cherchant partout ailleurs. Nous écartons inlassablement les hautes herbes qui nous cachent le chemin du retour. Une conversation incessante sur notre passé, notre avenir, les autres et nous-mêmes nous préoccupe, nous faisant manquer l’instant présent de notre vie. Nous sommes séparés de nous-mêmes et pensons que la réalisation du Soi est ailleurs.

« Les eaux montent, les montagnes s’éloignent, les chemins paraissent sans fin. »

Des processus inconscients nous submergent ; la guérison de l’oubli de l’essentiel semble une montagne toujours plus lointaine. Dans le cadre de l’individuation, nous cherchons à intégrer ces contenus inconscients, mais nous nous heurtons fréquemment aux barrières de notre conscience vigilante. De même, en Ch’an, la quête de l’Éveil paraît interminable lorsque l’esprit est encombré par les dualités, les rejets et les attachements.

Plus nous cherchons, plus le nombre des chemins possibles augmente. Sans savoir nous arrêter, nous oublions même d’où nous venons. Éloignés de notre centre, nous errons sans direction précise, prêts à tout interroger.

« Sans force, épuisé, je ne sais plus où chercher, »

À force de chercher à l’extérieur, nous nous sommes totalement perdus de vue. L’évidence se fait jour : « Je ne sais plus que faire ! » Dans le processus d’individuation, ce moment de crise est crucial. Nos illusions tombent comme des masques, révélant le vide de notre personnage en recherche. C’est le point où le moi reconnaît ses limites et s’ouvre à la transformation sous l’influence du Soi.

Cette prise de conscience que rien ne suffit jamais est primordiale. C’est le moment où la question profonde « Que dois-je faire ? » apparaît. Tant que nous n’avons pas reconnu notre perdition et notre incapacité à avancer par nous-mêmes, nous ne pouvons progresser ni dans l’individuation ni dans la pratique du Ch’an. Qui peut prétendre atteindre la réalisation par sa seule volonté ?

Le chemin essentiel commence à l’endroit précis où le doute radical apparaît. Dans l’individuation, c’est le début de la confrontation avec l’inconscient. En Ch’an, c’est l’ouverture à la nature véritable de l’esprit. Ne pas atteindre ce moment, c’est passer à côté de notre vie profonde. La pratique de soi est un authentique examen de soi, c’est-à-dire, simultanément, un oubli de soi. Car c’est uniquement lorsque je ne sais plus que je peux véritablement savoir.

Ce moment est le lieu où la vie prend pleinement place. Nous n’en sommes souvent qu’approximativement conscients. Nous écoutons, mais n’entendons pas ; nous regardons, mais ne voyons pas ; nous ne cessons de penser, mais notre pensée ne prend pas corps.

« Je n’entends que le chant lancinant des cigales dans les érables. »

Tant que la pensée « Je ne sais plus quoi faire ! » n’aura pas été suffisamment éprouvée, tant que la question désespérée « Que faire ? » ne nous aura pas profondément travaillés, nous ne pourrons pas trouver notre vrai Soi. Dans l’individuation, c’est le moment où le « moi » s’abandonne à l’influence du Soi. En Ch’an, c’est l’abandon des attachements et des dualités qui entrave la réalisation de la nature véritable.

Comme le chant lancinant des cigales, toutes les autres pensées nous éloignent de nous-mêmes, nous incitant sans cesse à juger du bon et du mauvais, du bien et du mal. Nous cherchons, mais ne trouvons pas, car nous cherchons quelque chose à atteindre, un objectif extérieur. Or, dans le processus d’individuation comme dans le Ch’an, il ne s’agit pas de rechercher une destination, mais d’entrer dans une ronde, un processus, une voie intérieure.

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Le taureau n’a jamais été perdu,
alors pourquoi le chercher ?
Depuis qu’il a tourné le dos à sa véritable nature,
aveuglé, son gardien l’a perdue de vue.
Il a laissé sa vraie demeure loin derrière lui, et se perd peu à peu
à la croisée des chemins.
Les pensées de perte et de gain le consument,
des idées de bien et le mal le divisent.
Il cherche une destination, entrera-t-il dans la ronde ?

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Patrick Bertoliatti

Souscription

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