La psychothérapie jungienne et l’art d’apprivoiser le taureau

Article mis à jour le 10/04/2024 | Zen et psychothérapie

La psychothérapie analytique jungienne et l’art d’apprivoiser le taureau

Une demande de psychothérapie est le plus souvent l’expression du désir d’être libéré d’une souffrance, quelle qu’en soit l’origine. Et très souvent aussi cette libération arrive sans que l’on sache exactement ce qui l’a produite. Il est toutefois observable qu’un temps non prédéfini de relation thérapeutique aura été nécessaire. Et que cette relation aura été l’occasion d’une rencontre de soi du thérapisant de plus en plus authentique, entraînant des prises de conscience aux conséquences intégrées dans la vie quotidienne.

De son côté, le bouddhisme Ch’an comporte deux thèmes centraux entrelacés: celui de la libération de la souffrance, et celui de la réalisation de sa propre nature, l’Eveil, réputé soudain ou progressif selon les écoles. La libération de la souffrance est l’habileté à exister comme expression de l’Eveil. Dans tous les cas on ne sait pas ce qui produit l’Eveil, et même l’Eveil soudain n’intervient qu’après une plus ou moins longue période d’étude et de pratique. Enfin l’Eveil est un évènement ponctuel qui se stabilise avec l’intégration de ses conséquences dans le quotidien de la vie.

Du côté de la thérapie comme du côté du Ch’an sont donc présents les thèmes de la libération de la souffrance, de la vraie rencontre de soi, de la non connaissance de ce qui produit l’effet recherché, et de l’intégration dans la vie quotidienne. Ce parallèle permet de penser qu’il est possible de s’inspirer des « étapes » décrites vers l’Eveil pour réfléchir sur les étapes et la finalité d’une psychothérapie (nous nous limiterons ici aux théories de Carl Gustav Jung du côté « thérapie »).

L’art d’apprivoiser le taureau

Les étapes vers l’Eveil ont souvent été représentées comme le processus de domestication d’un animal sauvage. Ainsi en est-il des dix tableaux et poèmes de maître Kakuan, un maître Ch’an chinois du 12ème siècle, qui mettent en scène un enfant et un taureau. L’enfant représente l’homme à la recherche de la réalisation de sa propre nature et le taureau représente son vrai Soi. Les dix tableaux-poèmes illustrent les étapes de la réalisation de la vraie nature de l’homme.

Pour préciser ce qui est entendu par « la réalisation de sa propre nature » il faut savoir que du point de vue du Ch’an, ce qui est appelé communément le soi est une illusion, il n’existe pas, c’est une construction mentale. Et c’est en partie cela qu’il s’agit de voir : la méditation Ch’an est l’apprentissage de l’oubli de soi (et non de la disparition des pensées…). Toutefois si la doctrine du soi comme illusion est une doctrine qui dit ce que le soi n’est pas, elle ne dit pas qu’il n’y a pas de soi. Elle dit que le vrai soi n’est pas le moi ou « soi-ego » identifié avec les facteurs empiriques de la personnalité.

La psychothérapie analytique jungienne

Parallèlement, dans une psychothérapie d’inspiration jungienne, le conscient est vu comme une émergence de l’inconscient. Le moi (ou soi-ego) qui est le centre du champ de conscience n’a donc pas son fondement en lui-même mais dans un ailleurs qui lui échappe. Il est distinct du Soi qui est un archétype dont la numinosité incite à la réalisation de la totalité conscient-inconscient. La réponse à cette incitation implique de se coordonner à la volonté totalisante du Soi puisque la totalité inclut aussi l’inconscient et ne peut donc pas être uniquement consciente. Ce qui veut dire que l’expérience transformante de la relation au Soi sera en même temps vécue par le moi comme une « défaite ».

Le mot « défaite » peut renvoyer au sens d’une perte, mais aussi par glissement sémantique à l’idée d’une déconstruction. Cette déconstruction correspond avant tout à la libération de l’identification de ce que l’on nommera provisoirement « l’observateur » (initialement projeté sur le thérapeute) et du complexe « moi » et ses contenus conflictuels. Ce qui peut faire écho au fait que du point de vue du Ch’an la libération de la souffrance implique un Eveil qui, réalisant l’illusion du soi-ego, met fin du même coup au mécanisme de sa construction.

Les « étapes » vers l’Eveil et la psychothérapie analytique jungienne

Pour approfondir cette réflexion, nous utiliserons dans les billets à venir le recueil des dix tableaux et poèmes de maître Kakuan mentionné plus haut, en faisant un parallèle entre les « étapes » vers l’Eveil qu’elles représentent et celles du processus d’une psychothérapie jungienne.

Il est important de noter que ces dix étapes sont plutôt à regarder comme des positions inscrites dans un cercle que comme décrivant une ascension, ce qui est suggéré dans les dix tableaux par le fait qu’ils ont en commun un cercle. De même suggèrent-ils peut-être que c’est « l’enfant » ou « l’esprit de débutant » en nous qui est à même de nous conduire vers la réalisation de la présence de ce cercle, à voir comme image du Soi, dont la présence nous précède toujours, mais reste à réaliser.

Les « étapes » du point de vue du Ch’an

Ces étapes peuvent se résumer ainsi :

  1. Un enfant seul dans la nature. Il est perdu, il s’est perdu. Il cherche, se cherche. Perplexe… Les choses ne sont peut-être pas simplement ce qu’elles paraissent être. La méditation commence,
  2. L’enfant à trouvé la trace du taureau. Quel que soit la manière, le sens de la recherche apparaît: il doit exister un soi, une manière de se vivre, plus authentique. La méditation s’approfondit,
  3. L’enfant entrevoit le taureau. Soudain, ce qui est cherché est vu fugitivement. C’est l’expérience initiale d’éveil au Soi. Juste une ouverture; une incitation à y regarder de plus près,
  4. L’enfant attrape le taureau qui n’est pas très maniable. Une lutte s’engage. L’habitude d’un monde fait de séparations se lâche difficilement. Qu’est-ce qui résiste ? Qui résiste ? L’épreuve du doute.
  5. L’enfant en vient à vivre en paix avec le taureau. Le sérieux de la pratique finit par entraîner un apaisement de la tension. De la simplicité apparaît.
  6. L’enfant chevauche le taureau jusqu’à chez lui. Les oppositions disparaissent une à une, bien/mal, gain/perte… En reste t’il ? L’enfant et le taureau, le taureau et l’enfant ?
  7. L’enfant est assis chez lui et il médite. De retour chez lui, il s’abandonne à – et dans – la pratique et ne pense plus à chercher autre chose,
  8. Juste un cercle vide. Le corps et l’esprit abandonné, tout concept a disparu et tout est vécu sans retour sur soi. Il n’y a plus ni sujet ni objet de conceptualisation, plus d’Eveil recherché,
  9. La nature réapparait. Les choses, maintenant, sont simplement ce qu’elles sont,
  10. L’enfant est à nouveau la, joyeux, sur la place d’un marché. Quoi qu’il advienne le quotidien est expérimenté habilement dans la joie.

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