La psychothérapie jungienne et l’art d’apprivoiser le taureau (8): Tout oublier

Article mis à jour le 18/06/2024 | Zen et psychothérapie

 

 

 

Fouet, attache, bouvier et taureau – tous sont vides.
Le ciel bleu qui s’étend au loin est si immense qu’aucun message ne peut le contenir.
Comment des flocons de neige pourraient-ils tenir sur un four chauffé au rouge ?
Arrivé à ce point, l’intention des patriarches est manifeste.

« Le taureau et l’enfant oubliés ». À en croire la huitième image, l’Éveil, ou encore, l’éveil au Soi, et l’oubli de soi coïncident. Il s’agit de tout oublier. C’est d’autant plus paradoxal que d’après les traditions de l’Éveil, nous ne faisons alors que réaliser, nous éveiller à ce que nous sommes vraiment, mais que nous oublions sans cesse ! En fait, nous ne faisons que retrouver ce qui était là depuis le départ et que nous cherchions partout ailleurs.

Toujours est-il que dans cette image, tout à disparu, seul le cercle demeure. Est-ce pour dire que personne ne peut atteindre au but ? Pourquoi parler d’Éveil ou d’individuation si personne ne l’atteint ? En même temps, l’exigence interne d’advenir du Soi nous entraine dans le processus. Ne tournons-nous pas en rond ?

« Fouet, attache, bouvier et taureau – tous sont vides. »

Nous « tournons en rond » en nous cherchant jusqu’à ce que nous acceptions de nous perdre. Dōgen disait qu’il s’agit d’abandonner à la fois le corps et l’esprit. Et, de fait, à ce stade avancé, le bouvier, le taureau, la quête et même les outils utilisés pour le dressage tombent dans l’oubli. Il n’y a plus ni sujet, ni objet de conceptualisation, ni personne qui cherche, ni rien de recherché, ni temps, ni vie, ni mort.

Sans rien saisir ni rejeter, ne laissant plus aucune trace de désir ni de haine, nous sommes en voie de disparition ! Il n’y a plus personne pour vouloir, savoir ou désirer. Toutes les représentations que nous avions de nous-mêmes, des autres, du monde et au-delà, toutes nos attentes, tout s’avère vide, tout se vide.

« Le ciel bleu qui s’étend au loin, est si immense qu’aucun message ne peut le contenir. »

Les stades qui précèdent nous ont préparés à l’évènement, mais ce stade n’est pas la suite logique des précédents. C’est un passage à la limite. Un évènement imprévu et imprévisible vient tout bouleverser de notre relation à la vie. Pourtant, cela ne se fait pas sans nous ; lorsqu’il se présente, il faut y consentir, ouvrir les mains, tout risquer, lâcher. À quoi tenons-nous le plus ?

Tout lâcher, tout oublier, une personne peut-elle le faire ? Que reste-t-il une fois que la notion même de personne est lâchée ? Une fois toutes les représentations de soi tombées, qui s’est individué, éveillé ? Personne. L’individuation n’est pas une victoire mais une chute, une libération de toutes les images aliénantes, jusqu’à une libération du Soi, épanouit silencieusement dans une mystique.

« Comment des flocons de neige pourraient-ils tenir sur un four chauffé au rouge ? »

Ce questionnement rappelle l’inutilité de s’accrocher à des pensées ou des identifications fixes dans le feu de l’Éveil. Peu importe la quantité de flocons de neige que vous mettrez sur un feu : tout fondra. Toutes les pensées discriminatoires qui nous accompagnent depuis le début de la ronde, toutes les conceptualisations concernant le processus d’individuation, l’Éveil, le Soi : tout fondra sur le feu de l’Éveil.

« Arrivé à ce point, l’intention des patriarches est manifeste. »

Il est dit qu’arrivés à ce point, les pratiquants du Ch’an comprennent le Ch’an pour la première fois. La compréhension du Ch’an se clarifie et s’aligne sur l’intention des patriarches, marquant un point de non-retour dans la pratique de réalisation du Soi, qui se réalise lui-même.

Nous ne sommes plus au centre, nous sommes centrés sur un tout Autre en nous qui nous fonde. La psyché s’éprouve dans son éternité. Il n’y a pas d’individuation sans cette expérience. Toutefois, c’est seulement le huitième stade de la pratique de l’individuation. Tout n’est pas fini. Parce que tout ne finit pas dans le vide ! Tout oublier n’est pas un acte d’amnésie, mais l’invitation à une présence vécue le plus totalement possible.

L’esprit clair, sans confusion, toutes les limitations ont disparu.
Je ne m’attarde pas dans L’Éveil. Je n’établis pas ma demeure hors de lui.
Ne m’attardant nulle part, aucun œil ne peut me voir.
Jeter des fleurs à qui est sur ce chemin n’a aucune signification.

Patrick Bertoliatti

Souscription

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