Confiance en l’esprit (9): effacer ses traces

Article mis à jour le 21/06/2023 | Zen et psychothérapie

Effacer ses traces

« Observez le mouvement immobile et l’immobilité en mouvement, mouvement et immobilité disparaissent. Lorsque ce type de dualité cesse, l’Un en lui-même ne peut exister. »

Dans la pensée dualiste, mouvement et immobilité sont en opposition. Pourtant, chercher à demeurer immobile est une sorte de mouvement, de même qu’être totalement à ce que nous faisons suppose de ne pas en être distrait, c’est-à-dire suppose une immobilité intérieure. Mais notre pensée crée sans cesse des catégories qui s’opposent et deviennent des murs linguistiques à l’intérieur desquels nous sommes emprisonnés.

Dans la logique du poème, ce mouvement de la pensée nous sépare de nous-mêmes en nous séparant de ce qui ne semble pas être nous. Et cette prison sans porte génère en nous un appel à la liberté. Mais pour Seng-ts’an, il ne peut y avoir de réelle liberté que celle qui consiste à être libre de soi. Et être libre de soi, c’est effacer ses traces, et effacer ses traces, c’est déconstruire les oppositions linguistiques pour accéder à une conscience de l’unité de Soi vécue comme l’interdépendance de toutes choses. L’Un en lui-même cesse alors d’exister à part du multiple.

« Pour atteindre à l’ultime aucune loi ni description ne s’applique. Accordez l’esprit à la Voie et toutes les actions égocentriques cessent. »

Seng ts’an nous avertit que l’accès à la conscience non-duelle n’est pas descriptible par le langage et n’est pas susceptible d’autorisation : elle n’est pas conditionnée. Personne ne peut autoriser ni décrire pour qui que ce soit le saut dans le devenir Soi. C’est un saut solitaire.

Ce saut correspond aussi à un retrait sans fin des projections sur le réel. Principalement de celles qui paraissent les plus censées. Il rend transparent au réel et situe celui qui le fait au-delà des principes et des codes ordinaires, sans toutefois être une porte ouverte sur l’arbitraire d’un agir égocentré. Autrement-dit, dans cet état, tout agir est en même temps non-agir.

« Les doutes et l’irrésolution disparaissent ; la foi véritable apparaît. Rien n’est détenu, rien à se rappeler. »

Nos doutes construisent autour de l’illusion d’une réalité intérieure séparée toutes les catégories mentales susceptibles de permettre d’en affirmer l’existence. C’est-à-dire que nous construisons une barrière de langage derrière laquelle nous nous réfugions et dont, en général, nous tentons de convaincre tout un chacun du bien-fondé, ce qui en retour nous conforte dans nos certitudes.

Mais une foi vue au travers de cette illusion, il devient inutile de chercher à convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Y compris soi-même. Tout doute est balayé, et la véritable foi où il n’y a plus qu’à être soi apparaît. Le saut immobile de soi à soi-même rend libre de soi, de ses mémoires et de toute doctrine. Tout attachement est devenu inutile et nous ne donnons progressivement plus de prise à quoi ou qui que ce soit… nos traces s’effacent.

« La nature-propre est spontanément vide et éclairante, sans aucun effort de l’esprit. Ici la pensée est inutile, les sentiments, les connaissances et l’imagination ne peuvent y pénétrer. »

Dans la transparence nous dit Seng ts’an, la conscience est à la fois vacuité et luminosité. Etre soi, c’est faire l’expérience d’une conscience de soi qui n’est pas une séparation du reste, et qui est lumineuse. Ce n’est donc pas se retrouver dans une sorte de quant-à-soi qui met à distance. La distance que nous mettons entre nous et les autres est plutôt celle que nous mettons entre nous et nous-mêmes.

Tout effort disparaît, et singulièrement tout effort de pensée. L’espace de l’ouverture au Soi ne dépend pas de nos sentiments, de nos connaissances ou de notre imagination. Il n’est pas susceptible d’appropriation. En faire l’expérience c’est apprendre à méditer, si l’on comprend cet apprentissage comme l’établissement d’un espace entre l’expérience et son appropriation.

« Dans le monde de l’ainséité il n’y a ni soi ni autre que soi »

L’ainséité correspond simplement aux choses telles qu’elles sont. Aucun contenu de conscience n’existe en lui-même. Il n’est que contenu de conscience. Le réel n’est pas susceptible de saisie en tant que soi, non-soi ou autre que soi. Il n’y a ni l’un, ni l’autre, ni la fusion de l’un et de l’autre. Tout existe en intimité avec toutes choses, sans fusion ni séparation.

Aussi, dans le monde de l’ainséité, personne ne peut agir que pour Soi sans aucun égoïsme. Parce qu’entre Soi et l’autre, il n’y a rien qui sépare, même si l’un n’est pas l’autre. C’est le retour à l’innocence d’une non conscience séparation d’avec l’environnement qui permet d’atteindre à la rencontre transparente du Soi, et qui en même temps efface toute trace de retour sur soi.

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