Religion et inconscient (3) : selon Jung

Article mis à jour le 25/04/2024 | Religions et psychothérapies

Avec Jung, si l’inconscient est en partie une production du conscient, c’est une production en retour. Parce que selon lui, il convient plutôt de voir le conscient comme une émergence de l’inconscient. L’inconscient est à voir comme un processus autonome, un dynamisme intérieur qui opère une alchimie. Un processus dynamique qui ne demande rien moins que tout l’homme pour s’accomplir. « Ma vie est l’histoire d’un inconscient qui a accompli sa propre réalisation » dira Jung.

Selon Jung, l’inconscient ne s’arrête pas à l’inconscient personnel. Il trouve sa pleine dimension dans l’inconscient collectif. L’inconscient personnel comprend des contenus devenus inconscients par perte d’intensité, oubli, ou qui ont été réprimés. Il inclut aussi des contenus n’ayant jamais atteint la conscience, faute d’intensité. L’inconscient collectif est la partie non personnelle de la psyché. Ses contenus n’ont été ni réprimés, ni oubliés, ni acquis. Il se compose d’archétypes, formes préexistantes devenant conscientes secondairement. Via des représentations archétypiques leur donnant forme. L’inconscient collectif est une mémoire dans et de la psyché de l’humanité. Mémoire faite de dynamismes déterminants en arrière-plan la vie individuelle.

L’inconscient selon Jung n’est donc pas seulement conditionné par l’histoire. Il est la source même de l’impulsion créatrice. De sorte que si l’ego est bien le centre de la conscience, l’inconscient est la source centrale de la psyché dans son ensemble. La conscience naît de la psyché inconsciente.

Processus d’individuation et religion

Pour Jung, l’expérience visée par sa psychologie est autant religieuse que psychologique. Aborder la spiritualité d’un point de vue psychologique permet, selon lui, une appropriation personnelle des images et des doctrines religieuses. Pour lui, l’expérience religieuse va de pair avec une guérison psychologique réelle.

Jung définit la religion comme l’attitude d’une conscience modifiée par l’expérience numineuse d’images produites par l’inconscient. L’expérience numineuse fait ressentir la présence du divin/sacré de manière mystérieuse, mêlant crainte révérencielle et émerveillement face à une réalité transcendante. Ces images ont toujours été considérées comme images de Dieu. L’expérience religieuse est la rencontre avec l’imago dei, dont le support est ce que Jung appel le Soi. De cette expérience découle un savoir ouvrant sur un processus de transformation individuelle, le processus d’individuation.

L’attitude religieuse issue de cette expérience suscite donc selon Jung une attention qui valide de manière expérimentale l’un des sens du mot religieux. « Re-legere », « relire », observer avec une attention scrupuleuse. L’attitude religieuse consiste ainsi à accorder une attention scrupuleuse à ce qui nous arrive, faisant confiance à un processus de transformation qui se présente d’abord comme naturel, et qui révèle une portée spirituelle pouvant ouvrir sur la foi.

Le processus d’individuation est donc le processus religieux, au sens de Jung, par lequel l’inconscient se réalise pour peu qu’on lui prête une attention respectueuse. Dans le même mouvement, l’individuation permet de devenir authentiquement soi-même. Autrement-dit, devenir authentiquement soi est un mouvement de déprise de soi au profit du Soi, l’archétype à l’origine du processus, au moyen d’une exploration de la dimension psychique.

Jung et le christianisme

Mais Jung dit n’avoir jamais eu la foi. Il n’a non plus jamais affirmé ni l’existence ni l’inexistence de Dieu. Le paradoxal apparaît alors chez lui et dans la démarche qu’il décrit. Il s’agit de se dispenser de toutes les professions de foi. Cela, tout en se rapprochant, par le biais de l’expérience, des enseignements traditionnels les plus universels.

Cela dit, le rapprochement dont il s’agit a plus à voir avec le processus qu’avec le fond de ces professions de foi. Il y aurait, par exemple, un total contre-sens à assimiler la position jungienne à une position chrétienne dans une forme psychologique, car par certains aspects, elle s’y oppose en fait de façon radicale. Notamment, le Soi est décrit comme une conjonction d’opposés, et à l’extrême, la conjonction du bien et du mal. Alors que le christianisme voit le développement spirituel en relation d’opposition, et non de conjonction, avec le problème du mal.

Critique de la religion selon Jung

Tel que Jung en parle, le processus d’individuation ne se provoque pas. Il s’accueille, s’observe en soi, et demande l’adhésion de celui qui l’observe pour parvenir à sa pleine réalisation. À mesure que le processus avance, l’individu entre paradoxalement en possession de soi par une déprise de soi. L’expérience du Soi, qui est simultanément à l’origine du processus, est une expérience imprévisible qui entraîne une transformation de la conscience de celui qui la vit. Cette transformation exige une forme de sacrifice du moi, car toute expérience du Soi représente une défaite de l’ego. Mais elle produit par ailleurs un élargissement de la conscience et entraîne un renouvellement de la façon d’être en relation au monde, aux autres et à soi-même. Enfin c’est une expérience qui s’accompagne de phénomènes de synchronicité où la séparation sujet-objet s’effondre.

Pratiquement tous les éléments qui précèdent pourraient se retrouver dans la description d’une expérience chrétienne. Même si sa description demanderait d’autres mots pour le dire. Tous les éléments… si ce n’est que le Soi est décrit comme une conjonction d’opposés. Jung a bien vu que le développement spirituel chrétien est en relation le problème du mal. Mais du point de vue chrétien, il suffit de s’observer et d’observer le monde pour s’apercevoir que nous ne savons pas résoudre ce problème. Aussi, Dieu n’est pas la réponse à notre désir de complétude. Dieu répond au problème du mal, de façon incompréhensible, dans un don de soi sans limites. Ce mystère est présenté comme ce qui invite à l’ouverture de soi-au-delà-de-soi. À travers la souffrance de l’incompréhensibilité assumée.

Rien sans doute n’est plus difficile que de s’abandonner à ce qui apparaît incompréhensible, comme dans notre véritable accomplissement. Jung en tout cas ne choisit pas cette solution. Au contraire, il pense Dieu comme conjonction réalisée du bien et du mal. Conjonction pouvant advenir au moyen de la réalisation du Soi au terme du processus d’individuation. La tâche de l’homme serait donc d’aider Dieu à se trouver au-delà de ses propres contradictions internes. Dépasser l’opposition bien-mal revenant à accéder à un plus de conscience qui fait perdre à l’image de Dieu son incompréhensibilité.

Il ne s’agit donc ni plus ni moins que de comprendre Dieu. Ce qui est un déni de l’incompréhensibilité de Dieu. Même si Jung, à la manière de maître Eckhart, prend la précaution de distinguer Dieu et la déité. Mais ne rien pouvoir dire de la déité, ce n’est pas encore accepter de s’abandonner à son incompréhensibilité. La foi chrétienne, de son côté, permet au croyant de tomber dans l’incompréhensibilité de Dieu comme dans sa vraie réalisation.

Vers l’intégration de l’esprit et de la matière

Tout en regardant le point culminant du processus d’individuation comme une réconciliation des contraires dans la personne humaine, il est possible de voir dans cette réconciliation, non pas celle du bien et du mal, mais celle de l’esprit et de la matière. Interprétée de cette façon, la pensée de Jung pourrait se révéler bien plus proche d’une spiritualité de l’incarnation de Dieu. Mais aussi de l’expérience de la non-dualité que l’on retrouve du côté des religions orientales.

En direction de cette expérience, dans Mysterium Conjonctionis, Jung évoque l’accès à l’unus mundus. Il s’agit du « monde un » des alchimistes, qui implique l’existence d’une âme du monde ou âme universelle, au fondement de l’inconscient collectif. L’unus mundus est l’endroit de la synthèse du conscient/spirituel et de l’inconscient/physique. La dernière étape de la conjonction des opposés, du point de vue du processus psychique de connaissance de soi.

Le concept de synchronicité sur lequel Jung a travaillé avec Pauli est lié à l’unus mundus. Une synchronicité dépend, en effet, de l’union de l’observateur et du phénomène observé via l’unus mundus. Elle est la rencontre d’une compréhension de quelque chose d’inconscient et d’un évènement extérieur qui vient confirmer cette compréhension. Cela, via un effet de sens, qui n’est le plus souvent perceptible que par le sujet de cette compréhension. La rencontre de l’unus mundus renvoie ainsi à la notion d’une réalité unifiée sous-jacente de laquelle tout émerge et à laquelle tout retourne. Ce qui peut être compris de différente manière dans les différentes traditions.

En s’appuyant sur la manière de procéder de Jung, un travail en direction de l’intégration esprit/matière pourrait être opéré par une certaine manière de travailler les rêves, un travail non-duel des rêves.

2 Comments

  1. Cassandre

    Très bon article, ça permet de voir clair entre ces différentes écoles de pensée!

  2. Philippe Lavot

    Merci infiniment pour cette merveilleuse clarté à propos de ses trois écoles de pensées qui, à mon avis ont autant de différences de fondements analytiques que ( en fait ) de complémentarité, notamment pour ce qui concerne : la comprehension de la fonction de l’être en son environnement, en termes de : Pensée-Parole-Action ! Magnifique ! Merci !

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