Jung, Thésée, Ariane et la mort du vieil homme
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Thésée, Ariane et la mort du vieil homme
Lors de son départ pour la Crète, Thésée emporte une voile blanche et une voile noire. Cela lui permettra, lors de son retour, d’annoncer de loin sa réussite ou son échec à son père Egée. Il est décidé que s’il a vaincu le Minotaure il hissera la voile blanche, sinon, il hissera la voile noire. Et il prend la précaution de demander à Aphrodite, la déesse de l’amour, sa protection.
Thésée ne part pas sans prendre de précautions.
D’une part il se prépare paradoxalement, inconsciemment, à la victoire. En effet, il est dit que personne ne revient vivant du labyrinthe et de la rencontre du Minotaure. Le stratagème des deux voiles dit pourtant le contraire, quelle que soit l’issue. Le mythe renvoi donc au thème archétypique universel de la mort suivie d’une renaissance. Et la victoire sur le Minotaure de notre labyrinthe intérieur est une certaine forme de mort à nous-mêmes.
D’autre part il demande la protection de l’amour. C’est l’amour, dit le mythe, qui protège le passage. Mais quel amour ?…
A son arrivée en Crète, Thésée doit affronter Minos, qui lui dispute en duel Périboéa, dont il s’est épris durant le voyage. Thésée remportera le duel avec l’aide de Poséidon. Mais ensuite, il séduit Ariane, la fille de Minos, à qui il demande comment sortir vivant du Labyrinthe. Ariane, en effet, est la demi-sœur du Minotaure…
Lorsqu’il arrive en Crète, Thésée se voit disputer par le père de celle qui lui permettra de vaincre le Minotaure et de sortir du labyrinthe, Ariane, une autre femme, Périboéa. Cet épisode pourrait indiquer que pour réussir l’épreuve qui permet d’accéder à soi, il faut surmonter l’attrait qu’exerce sur nous quelque chose qui va être sacrifié, et faire alliance avec une facette de nous-mêmes qui paraît, de premier abord peut-être, moins attrayante.
En effet, Ariane nous renvoie au thème de l’anima reliée à l’ombre. Nous avons déjà rencontré ce thème avec Médée, et dans un sens destructeur. Mais l’anima proche de l’ombre est aussi ce qui connaît assez l’ombre pour en déjouer les pièges. Par ailleurs, elle est un guide vers l’archétype central de l’inconscient, le Soi. Il semble donc normal qu’elle apparaisse dès que nous nous mettons à lutter contre ce qui, en nous, a pu chercher à s’emparer de ce qui n’appartient qu’au divin.
Ariane a appris de Dédale qu’il suffit d’attacher un fil à l’entrée du labyrinthe puis de le suivre pour en ressortir. A Thésée qui lui promet de l’épouser, elle confie un glaive pour venir à bout du Minotaure et une bobine de fil qui lui permettra de retrouver le chemin du retour. Et c’est ce qui arrive : Thésée entre dans le labyrinthe, trouve le Minotaure, le tue, et en suivant le fil d’Ariane ressort du labyrinthe.
On parle généralement du fil d’Ariane. On omet qu’Ariane a aussi remis un glaive à Thésée. Le mythe ne présente donc pas seulement l’anima comme un guide, mais aussi comme (ce qui détient) l’arme qui permet d’éliminer le monstre né de la jalousie du divin. L’anima est comme un diamant ; elle en a les couleurs chatoyantes ; elle en a le tranchant.
Le fil d’Ariane peut être vu comme le fil de la relation à l’anima qui donne une orientation et permet de ne pas se perdre dans les méandres de l’inconscient. La bobine de fil peut d’ailleurs être vue, parce qu’elle est ronde, comme un symbole de totalité. Le glaive est le tranchant avec lequel l’anima peut éliminer en nous le désir de nous emparer de ce vers quoi elle nous guide.
Une autre façon de regarder le mythe est de voir le Minotaure comme une sorte de gardien du centre, et le labyrinthe comme une représentation de l’inconscient au centre duquel se trouve quelque chose de précieux. Il n’est pas fait explicitement mention de cette chose précieuse… à moins d’y voir la relation à Ariane elle-même.
Ensuite, Thésée quitte la Crète avec Ariane mais il rompt sa promesse de l’épouser. Sur le chemin du retour à Athènes, ils s’arrêtent sur l’ile de Naxos. Différentes histoires racontent la suite : dans une version, Thésée est fatigué d’Ariane qu’il juge ne plus lui être d’aucune aide ; dans une autre qui semble plus cadrer avec le personnage de Thésée, Dionysos désire Ariane et l’enlève pour faire d’elle son épouse sur le mont Olympe.
Il semble qu’Ariane séparée de la figure d’ombre de son demi-frère monstrueux doive rester en relation avec les dieux.
Cet épisode peut susciter diverses interprétations en fonction de l’attitude de Thésée. Il faut peut-être y voir la confusion à éviter, pour l’homme, entre la rencontre du féminin extérieur et du féminin intérieur (comme l’est celle pour la femme de la rencontre du masculin), et des conséquences que cette confusion peut entraîner. Mais il ne faut pas non plus oublier que l’anima n’est pas le terme du processus, et qu’elle pointe toujours vers la rencontre, du centre, du Soi.
Pour finir, alors qu’il rentre à Athènes seul en bateau, Thésée omet de mettre la voile blanche censée prévenir son père Egée qu’il revient vainqueur du labyrinthe et de son combat avec le Minotaure. De désespoir Egée se jette de la falaise dans la mer (qui devient la mer Egée) et il meurt.
Le Thésée du retour n’est pas celui du départ. Le retour du combat entre la vie et la mort n’est pas une victoire d’un côté contre l’autre, semble dire le mythe. Et c’est pourquoi le voile de la victoire, pas plus que celui de la défaite, n’est levé par Thésée.
C’est le vieil homme en nous qui attend de nous que nous soyons victorieux, que nous ayons vaincu la mort, que nous ayons atteint l’éveil… C’est justement à lui qu’il nous faut mourir pour renaître à une autre conscience. Son ultime rempart est de plonger dans l’inconscient…mais c’est justement là que l’hôte intérieur est à l’œuvre. On ne peut pas réellement se fuir, on ne peut qu’aller ver Soi.