Perversion morale, une perversion de la relation

Article mis à jour le 24/06/2024 | Psychopathologie

Perversion morale

Il existe deux grandes classes de perversions. La perversion morale ou narcissique concerne la perversion de la relation. L’autre classe de perversion étant d’ordre sexuel. Dans le cas de la perversion morale, le pervers souhaite devenir le maître de la relation. Car cette dynamique lui permet de se décharger sur un autre des souffrances qu’il ne ressent pas et de ses contradictions internes qu’il refuse de voir. Il avance dans le secret, masquant ses véritables intentions. Généralement intelligent et très bon psychologue, il se montre souvent séducteur et très persuasif. À son contact, finiront par être éprouvés des sentiments d’abus, de maltraitance, et l’impression de ne compter pour rien. En tout cas, rien d’autre que de devenir un simple objet de sa valorisation.

Ressenti face à la perversion morale

Il est permis de penser que l’on a affaire à de la perversion morale dès que trois traits sont réunis :
1. une sensation de contrainte à agir exactement à l’encontre de ses propres désirs, avec l’impression de ne pouvoir faire autrement,
2. décider ou non de rester dans la relation entraîne indifféremment le sentiment de « perdre la face »,
3. le tout est teinté d’un sentiment d’immoralité.

La morale du pervers est celle de la loi du plus fort ou du plus rusé. Dans son discours, le mal apparaît sous des traits banalisés, relativisés. Dans un flou qui ne donne pas réellement prise. Ce qui engendre un sentiment diffus d’immoralité lorsqu’on est en contact avec lui. Sentiment qui, malgré son intensité, reste difficile à identifier clairement (point 3). Cette impuissance à exprimer le malaise conduit, avec le temps, à une forme de complicité involontaire par acceptation tacite. De sorte que l’on se retrouve, malgré soi, à agir contre ses propres désirs, tout en ayant l’impression de ne pas pouvoir faire autrement (point 1).

Le piège

Le piège du point 2 se referme lorsque la victime souhaite échapper à cette emprise. En effet, elle se retrouve confrontée à une double contrainte. D’un côté, rester dans la relation sans en avoir le désir est perçu comme une atteinte à son estime personnelle. D’un autre côté, le pervers a habilement fait sentir à sa victime qu’elle lui est redevable de sa présence. Ainsi, si elle pense à quitter la relation, elle ressent une atteinte à cette même estime vis-à-vis de lui.

Pour que cela fonctionne, le pervers utilise tout ce qu’il trouve à sa disposition. Il insistera souvent sur le « devoir » de sa victime envers lui, défendant uniquement ses propres intérêts. Cette relation asymétrique n’en est finalement pas une. Le pervers moral sait exactement comment manipuler les attentes à son avantage, et il exprime cela de façon toujours très convaincante. À vrai dire, il peut même donner l’impression d’être le seul à comprendre comment une relation doit se dérouler. Voire, perversion suprême, se plaindre de devoir en prendre les commandes.

Solutions

Quel que soit le choix de la victime du pervers, rester ou partir, elle porte un sentiment de culpabilité. Un sentiment que précisément le pervers refuse de porter. Il jouit de ne pas être affecté de la douleur morale qu’il fait porter à l’autre. Le transfert sur l’autre de ses propres contradictions internes non reconnus et de la douleur qu’il ne ressent pas lui permet de se valoriser aux dépens de sa victime. Le mécanisme dans lequel il l’entraîne fait que quoi qu’elle fasse, elle a le sentiment de ne pas faire ce qu’une partie d’elle veut faire. Elle est entraînée à faire ce qu’elle ne veut pas et à ne pas faire ce qu’elle veut. Mise dans une situation ou elle n’est plus en mesure de savoir ce qu’elle veut, car quoiqu’elle veuille… elle ne le veut pas non plus !

Face à un pervers, la seule solution semble être d’accepter de « perdre » en quittant la relation. Je « perds » car « je le laisse tomber ». Il avait raison de tester mon égoïsme en insistant sur mon « devoir ». Ce qui me pousse à remettre en cause ma capacité à vivre sainement une relation. En fait, je dois renoncer à certaines images de moi-même, comme ma capacité à l’aider ou à faire face. Je dois aussi renoncer à mon désir d’expliquer mon point de vue pour partir « la tête haute ». Car, un point important, est de partir sans engager de polémique, domaine de prédilection du pervers, en laissant de côté le sentiment de « perte ».

Une vieille histoire

En fait, cette dynamique est connue depuis très longtemps. Elle l’est au moins depuis les origines du christianisme. En effet, en termes chrétiens, la perversion révèle la structure du péché. Le contact avec un pervers place immédiatement dans une position d’amartia, terme grec traduit par « péché », qui signifie littéralement « manquer sa cible » ou « viser à côté de soi ». Être au contact d’un pervers moral, c’est se voir contraint à une forme de mort symbolique face au mal, sous peine d’expérimenter une forme de damnation. Rester aux mains d’un pervers, en effet, c’est perdre son âme et c’est l’enfer ! Mais si j’accepte cette « mort », une nouvelle vie peut s’annoncer.

Comme le suggérait saint Paul dans sa lettre aux Romains, la structure du péché se résume à : « je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais  » (Romains 7, 15). Il est obligatoire de passer par une certaine mort à une image de soi-même pour vaincre l’adversaire biblique (Satan est la translittération d’un terme hébreu qui veut dire « adversaire »). Or un des noms qui lui est traditionnellement attribué est justement « le pervers ».

Patrick Bertoliatti

Souscription

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