Carl Gustav Jung, le numineux et le processus d’individuation

Article mis à jour le 12/04/2024 | Jung

— Image : La Tour de Bollingen (voir sur Wikipedia)

« l’accès au numineux est la seule véritable thérapie ».
C.G.Jung, Correspondance 1941-1949, p. 114.

Jung nait le 26 juillet 1875 au bord du lac de Constance à Kesswil en Suisse. Son père est pasteur luthérien et du côté de sa mère, il compte d’éminents ancêtres médecins. Sa mère est par ailleurs passionnée d’occultisme. Ceci entraînera chez lui un double attrait pour la théologie et la médecine et il entreprendra des études de psychiatrie. Il les achèvera avec une thèse sur « La psychopathologie des phénomènes dits occultes » en 1902.

Freud, Jung – Le sacrifice

Il travaille alors au Burghölzli, la clinique psychiatrique de l’université de Zurich. Il découvre les travaux de Freud avec qui il se lie d’amitié durant sept ans. La parution de son ouvrage Métamorphoses et symboles de la libido en 1912 sera l’occasion de leur rupture. Dans un chapitre sur « Le sacrifice », il y expose notamment ses conceptions de l’inceste et du concept de libido qui l’éloignent de Freud. Il sait par avance que ce chapitre sur « Le sacrifice » représente son propre sacrifice.

Effectivement, la parution de ce livre et ses conceptions de l’inceste et de la libido lui coûteront l’amitié de Freud. Par ailleurs il abandonne son poste à l’université. Jung se retrouve totalement seul. Il s’est installé à la même époque à Küsnacht, près de Zurich. C’est là qu’à la recherche d’une orientation, il plonge dans l’épreuve de sa confrontation avec l’inconscient qui durera de 1913 à 1918. Lorsqu’il en ressort, un équilibre fait de communication entre sa conscience et l’inconscient s’est réalisé. Cette réalisation lui offre la matière de toute son œuvre à venir.

L’expérience de la psyché

Pour Jung la rencontre de la psyché est avant tout une expérience, la sienne et celle de ses patients. Et toute son œuvre est marquée par une dialectique entre son constat de l’expression spontanée d’une fonction religieuse dans l’inconscient et ce qu’il peut en dire en tant que psychologue. Jung n’utilise toutefois pas le mot « religion » au sens de religare qui renvoie à une manière de se relier au divin. Il l’utilise au sens du mot latin religere. Cette étymologie proposée en son temps par Cicéron correspond à une prise en considération avec conscience et attention du numineux.

Le numineux

« Numineux » est un terme forgé par Rudolph Otto dans son livre « Le Sacré ». Il correspond à l’expression du sacré qui saisit l’individu et produit un effet paradoxal de fascination d’un côté et de terreur de l’autre. En d’autres termes, le numineux est l’expérience de la conjonction des opposés que sont l’attraction et la répulsion face à l’irruption du sacré dans la vie. Expérience ne veut pas dire croyance. Ce qui intéresse Jung est bien l’expérience numineuse et personnelle du divin, de Dieu, et non la croyance en Dieu.

L’image de Dieu

Lorsque Jung emploi le mot « Dieu », il n’affirme donc pas l’existence d’un Dieu transcendant. Bien plutôt, il se réfère au « tout autre » qui échappe à toute saisie, dont les hommes ont le sentiment de dépendre et qu’ils désignent en se servant de ce mot. Jung pour sa part constate l’expression de ce « tout autre » sous forme d’image dans sa propre psyché et celle de ses patients. Et il comprend l’effet numineux possible provoqué par cette image comme la manifestation d’un archétype qui préfigure la totalité. Il qualifie cette « image de Dieu » de symbole du Soi.

Les archétypes

Ce que Jung nomme « archétypes » sont des dynamiques de l’inconscient. Ces dynamiques paraissent douées d’intentionnalité, des structures inconscientes qui déterminent des possibilités d’action. L’essence d’un archétype n’est donc pas susceptible de conscience, mais chaque archétype peut se représenter sous des formes variées appelées images archétypiques. On retrouve des images archétypiques dans les rêves, les visions et les mythes par exemple.

Tout archétype porte en lui une puissante charge émotionnelle, que Jung nomme « numen ». Ce « numen », dit-il, « met le sujet dans un état de saisissement » mais qui est susceptible d’être contenu et intégrée. L’expérience d’un archétype est ainsi numineuse. Et dans un premier temps la psyché projette le numen de l’archétype sur des formes réelles. Telle personne projettera son ombre sur telle autre, un homme projettera son anima sur sa compagne, etc.

Synchronicité

Enfin un archétype est de nature psychoïde. C’est-à-dire qu’il relève aussi bien de l’esprit que de la matière et qu’il se révèle à l’occasion de situations et d’images au caractère numineux. Lorsqu’il se révèle l’occasion d’une situation extérieure, le contenu psychique et l’évènement extérieur se trouvent en une correspondance d’apparence acausale.  Jung désigne ce phénomène du nom de synchronicité. L’apparition de synchronicités marque souvent l’entrée dans une phase approfondie du travail thérapeutique.

Le Soi

L’« image de Dieu » que Jung qualifie de symbole du Soi est l’archétype de la totalité. Il régit le mouvement des archétypes personnels que sont l’ombre, la persona, l’anima et l’animus. La numinosité de l’archétype du Soi incite donc à réaliser la totalité. Or cette réalisation implique que le moi se coordonne à la volonté totalisante du Soi. Or la totalité incluant aussi l’inconscient, elle ne peut pas être uniquement consciente. De sorte que l’expérience transformante du Soi est en même temps vécue par le moi comme une « défaite », car elle entraîne une certaine perte du contrôle qu’il exerce sur son vécu.

Le processus d’individuation

Ainsi l’approche de la totalité est un état numineux fait de fascination et d’effroi. Le moi est souvent fasciné et attiré par l’expérience de la totalité. Mais dans le même temps, il ressent l’effroi de la perte de sa position centrale qui se profile. Cette approche, Jung la nomme processus d’individuation ; processus qui a la forme d’un destin s’il reste inconscient. C’est une tâche qui consiste en la réponse du moi à l’exigence interne d’advenir du Soi lorsqu’il devient conscient. Une partie importante de cette tâche consistera en un retrait des projections par la psyché du numen archétypique. Son résultat est une transformation de l’homme faite de considération et d’adhésion à l’ordre et au sens profond de la vie qui le traverse.

Une voie « religieuse »

Vue en ce sens, la psychologie analytique de Jung est une voie « religieuse ». Au sens de relegere donné plus haut qui est de « prendre en considération, avec conscience et attention » le « numineux ». Or cette prise en considération peut être vue comme une relecture continuée de sa propre vie pour mieux y adhérer. Cette manière, qui correspond aussi à la manière de Jung de revisiter constamment ses propres écrits. « Lorsqu’on parvient à se souvenir de soi-même (…) on commence à s’individuer » (C.G. Jung, Psychologie du Yoga de la Kundalini) (voir le billet Relecture).

1 Comment

  1. C.M.

    Je trouve votre compréhension de la voie jungienne juste et c’est pour moi une joie. J’ explore votre site avec beaucoup d’intérêt.
    Jung était un chercheur d’une immense intégrité, un esprit scientifique véritable, un érudit, un artiste et un homme de courage. Son exploration de l’inconscient qu’il a entrepris seul, est d’une incommensurable richesse pour notre culture

    J’ ai fait pendant 5 ans une analyse jungienne en Angleterre: dans les pays anglo-saxons Jung est très estimé et sa pensée n’est pas caricaturée et déformée comme elle peut parfois l’être ici, que ce soit par ceux qui l’éreintent comme par ceux qui s’en réclament.

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